dimanche 29 avril 2007

Un ou deux extraits…

Deux extraits de la partie intitulée L'autobiographie vue par les cinéastes.

La vérité sans fard

par Catherine Breillat

Je crois que je déteste les gens qui pensent que ce qu'ils veulent c'est s'exprimer comme une condition sine qua non à leur désir d'existence. C'est une des marottes du siècle.

Elle donne lieu à tous ces colloques, ces brain-stormings, ces symposiums. S'exprimer c'est alors dire ce qui vous passe par la tête, confronter ses idées sans prendre la peine d'en avoir une seule, cette déliquescence démagogique, cette surestimation du moi, m'exaspère. Je n'en éprouve que du mépris.

Je ne fais pas du cinéma pour m'exprimer, mais pour l'Art. L'Art c'est le contraire de s'exprimer, c'est se dépasser Soi-même. Je ne prétends pas que j'y arrive : je dis que c'est ce que je veux faire.

L'Art c'est d'exprimer le Monde. Cette expression passe à travers Soi. C'est Soi qui exprime le Monde, ce n'est pas Soi qui exprime Soi. M'exprimer moi-même ne m'intéresse pas.

Je veux exprimer Quelque chose.

Ceci posé, le chemin de l'autogiographie, c'est évidemment la matière la plus disponible pour exprimer la vérité essentielle – à y réfléchir peut-être la seule.

Non à se regarder comme un être exemplaire et unique mais à se considérer comme une sorte de magma primordial. La glaise universelle.

L'autobiographie c'est le référent universel.

Une autobiographie n'a de sens que si les autres s'y reconnaissent.

Avant d'écrire Parfait Amour !, je me souviens être allée voir un producteur munie d'un simple synopsis assez vague en lui disant que je voulais raconter "mon Histoire". Et devant son air interloqué, je lui ai précisé qu'il ne s'agissait pas de ma biographie mais de "mon Histoire", l'histoire d'amour que je vivais, parce que si je la racontais scrupuleusement, c'est-à-dire je la disséquais jusqu'à en retrouver les termes génériques, ce serait l'histoire de tout le monde.

Tout le monde vit à peu près la même vie, éprouve les mêmes bouleversements dérisoires qu'on veut croire exceptionnels pour la seule raison qu'ils nous arrivent à nous.

L'attitude romanesque, c'est présenter aux gens des histoires qu'ils voudraient vivre, l'attitude autobiographique, c'est présenter la vérité sans fard. Crue, telle qu'elle existe, blafarde et aveuglante comme la Mort. Les gens sont épouvantés de se reconnaître.

Cette épouvant est la preuve même qu'on a touché juste, qu'on a disséqué précisément.

L'attitude autobiographique, c'est de pas se raconter, ni raconter d'histoire.

Pourquoi autrement, dirait-on si souvent des artistes que ce sont des écorchés vifs ?

Je ne crois pas qu'on puisse impunément être cinéaste sans par là-même se dévoiler. Même le fait de se cacher dévoile. Peut-être encore plus ironiquement.

C'est pourquoi, je n'ai jamais eu de culpabilisation ou d'état d'âme avec l'inspiration autobiographique. Cela me dérange un peu lorsque mes amis ou ma famille s'en trouvent affectés.

Mais je sais que je dois ou renoncer à poursuivre ce que je fais, ou renoncer à en tenir compte.

C'est à eux de comprendre qu'ils en sont nullement impliqués personnellement.

C'est simplement inéluctable.

Je constate même que moins je veux officiellement raconter mon histoire, plus je pioche impunément à l'intérieur de moi-même : plus c'est en quelque sorte autobiographique, car il n'y a pas d'auto-censure.

La seule chose que je regrette sincèrement, c'est que dans Tapage nocturne, l'héroïne soit cinéaste : ça c'est un détail biographique. Une facilité, une pirouette égocentrique beaucoup trop accessoire : il me semble que je me reconnaîtrais plus universellement en elle aujourd'hui si elle était simplement professeur ou quelque chose de cet ordre.

L'autobiographie réussie doit être transcendantale.






Où se cache l'autobiographie
par Luc Moullet

Soit telle quelle, soit sous forme romancée, l'autobiographie est omniprésente en littérature : je citerai, au hasard, Blixen, Bukowski, Cavanna, Donleavy, Dickens, Dostoïevski, Gorki, Ellroy, Jouhandeau, Léautaud, Lodge, London, Mc Cullers, Melville, Miller, Nin, Powys, Rousseau, Stein, Svevo, Soljenitsyne, Strindberg, Wargas Llosa, Weyergans, Wilde, Wolfe. Leurs ouvrages ont beaucoup d'admirateurs, peu de détracteurs.

Au cinéma, c'est plutôt le contraire. J'ai souvent entendu des producteurs ou des fonctionnaires audiovisuels attribuer la médiocrité du cinéma de leur pays au fait que les cinéastes voulaient trop souvent tourner des films inspirés par leur propre vie. Pour ces gens-là, le mot autobiographie avait une connotation péjorative. Leur argumentation reposait sur trois motifs.

1. L'autobiographie est centrée sur une seule personne, alors que les films sont destinés à des milliers de gens, qui mènent une existence assez ordinaire très différente de celle d'un réalisateur, personnage atypique. C'est oublier que le spectateur moyen est souvent attiré par l'individu d'exception – les têtes couronnées par exemple – et aussi que l'autobiographie recouvre souvent le passé du cinéaste, sa vie privée, rien que de banal, et non pas sa vie professionnelles, supposée singulière. Et si le film autobiographique est parfois centré sur une seul personne, on ne peut pas en dire autant d'un grand nombre de productions standard. Prolongeant la vieille doctrine classique "Le Moi est haïssable", il y a aussi l'accusation contre le cinéaste, qui chercherait à n'étaler que son "moi", supposé indigeste, plutôt qu'à séduire le spectateur. Mais on peut opposer à cela les étonnants succès des films autobiographiques comme ceux d'Allen, de Moretti, de Pialat, de Truffaut, non moins évidents que ceux des écrivains cités plus haut.

2. Le film autobiographique témoigne d'un manque d'invention de la part du cinéaste. Il y a moins de travail de la part du cinéaste. Il y a moins de travail à faire, puisque la matière est déjà là, à portée de main, toute prête. Il n'y a pas à se torturer les méninges pour trouver une intrigue inédite ni à faire une longue enquête sur les mœurs des baleiniers du Kamtchatka. Là encore, on retrouve la vieille rengaine classique qui couronne la fatigue et la sueur, et méprise la facilité. Il est certes immoral qu'un cinéaste puisse rater un film après avoir bossé des années sur son scénario et dépensé des dizaines de millions au tournage, tandis qu'un autre réussira la sien à partir d'un script échafaudé en quatre jours et en tournant trois semaines avec trois fois rien, mais c'est la loi de l'expression artistique.

La matière autobiographique offre par contre un gros avantage : il y a là une connaissance directe de la réalité, précieuse, irrémplaçable, qui choque souvent parce que la Vérité est insolite, alors que le travail d'enquête repose souvent sur la parole de tiers, et les trasvestissements qui en découlent.

3. Le film autobiographique – et c'est ce qui gêne les producteurs, soucieux de miser sur des poulains à longue carrière – risque d'être sans lendemain : est-ce que le cinéaste pourra tourner quelque chose d'intéressant une fois qu'il aura épuisé le film de sa propre vie ? C'était le problème du grand ciénaste Bill Douglas, comme celui de l'écrivain Cavanna. Mais certains s'en tirent très bien, comme Allen, qui a réussi à exploiter avec brio sa vie trente ans durant, et c'est pas fini.

L'autobiographie, c'est un faux problème. Il est très difficile – faute d'information – de savoir si un film d'une contrée ou d'une époque lointaine, a une base autobiographique. On accusera parfois un film français d'être nombriliste, ça n'arrivera jamais à un film sénégalais ou japonais. Et pourtant, la présence du double dans Kagmusha est une référence au complexe d'infériorité vis-à-vis de son grand frère dont souffre Kurosawa. Ou Why Change your Life ? (DeMille, 1919) reconstitue un crêpage de chignon entre deux de ses maîtresses. Le grand champion du spectacle DeMille n'est-il pas aussi nombriliste que Garrel ?

A l'opposé, j'ai joué souvent la carte du faux dans mes films dits autobiographiques : Ma première brasse peut passer pour un film narcissique, étant donné que j'en suis l'interprète. Or, il s'agit d'un homme qui désire avant tout apprendre à nager, alors que dans la vie, je suis très fier de ne pas savoir nager. C'est donc l'exact contraire de l'autobiographie, que j'introduis plus volontiers – excellent masque – à travers mes personnages féminins.

Impossible de savoir où se cache vraiment l'autobiographie. Peut-être que tous le sbons films sont autobiographiques.